L’enquête Ipsos / Sopra Steria réalisée pour France Télévisions, Radio France, RFI et France 24 auprès de 5433 électeurs à la veille du scrutin présente le profil détaillé des abstentionnistes, et dresse la radiographie politique et sociologique des différents électorats.
Profil des abstentionnistes
À 48,7%, l’abstention est en net recul par rapport aux Européennes de 2014 (57,6%), 2009 (59,4%), 2004 (57,2%) et 1999 (53,2%), et il faut remonter 25 ans en arrière pour trouver un niveau équivalent (47,3 en 1994). On mesure peut-être là un effet Gilets jaunes. Ceux qui se sentent très proches du mouvement social se sont en effet nettement moins abstenus que la moyenne des Français (42%), comme ceux qui s’en sentent très éloignés (44%). Que ce soit pour ou contre lui, le mouvement a remobilisé les citoyens.
Cela étant, plus
d’un Français sur deux a tout de même boudé les urnes. On relève une
majorité d’abstentionnistes dans toutes les catégories d’âge jusqu’à 49 ans,
avec les plus forts taux chez les moins de 35 ans, dont 60% ne sont pas allés
voter. L’abstention passe sous les 50% dans la tranche 50-59 ans, tombe à 38%
dans la tranche 60-69 ans, et à 35% chez les 70 ans et plus.
L’abstention est également majoritaire dans toutes les catégories
socio-professionnelles testées, sauf les cadres, (49%). Elle se situe à
près de 60 % au sein des professions intermédiaires, chez les employés, les
ouvriers. Mais le différentiel de participation entre les CSP+ et les CSP- est
plutôt inférieur à ce qu’on a l’habitude de mesurer.
C’est aussi le cas par rapport au niveau d’études, avec même une abstention
équivalente chez les moins diplômés (50% chez les non-bacheliers ou ceux
qui ont stoppé leurs études au baccalauréat) et chez ceux qui ont fait des
études supérieures (48% pour les bac+2 et 47% pour les bac+3). C’est tout à
fait inhabituel.
On retrouve une progression plus classique en s’attachant au niveau de revenu
du foyer, avec près de 60% d’abstention dans la tranche de revenu la plus
basse, 52% puis 47% dans les deux tranches intermédiaires, et 44% chez les plus
aisés. Mais là encore les différences sont moins nettes que lors des
précédents scrutins. Les catégories populaires sont bien à l’origine du
sursaut de mobilisation que les enquêtes pré-électorales ont mesuré dans la
dernière ligne droite.
Traduit électoralement, cela explique pour beaucoup la performance de la liste du RN. La mesure du taux d’abstention selon le vote au 1er tour de la Présidentielle est éloquente : l’électorat de Marine Le Pen au 1er tour, pourtant plus populaire, ne s’est pas sensiblement plus abstenu (43%) que l’électorat de François Fillon (44%) ou d’Emmanuel Macron (40%). En terme de proximité partisane, les proches du RN (58%) ont participé autant que les sympathisants de droite (54%) ou de gauche (53%).
Sociologie des électorats
La liste du Rassemblement National a remporté son match contre La République En Marche. Il est arrivé en tête chez les 35-49 ans (26% des suffrages) et chez les 50-59 ans (30%). Le rapport de force avec LREM s’équilibre ensuite chez les 60-69 ans, mais c’est seulement chez les plus de 70 ans que la liste LREM est largement devant (33%, pour 21% au RN).
En termes de catégories professionnelles, la liste RN est en première position chez les ouvriers où elle obtient son meilleur score, à plus de 40%, et chez les employés (27% des suffrages). Mais le vote RN a aussi progressé par capillarité. Il fait sur ce scrutin jeu égal avec LREM au sein des professions intermédiaires (19% des suffrages pour chaque liste), et recueille 13% des voix des cadres (28% pour LREM). Encore plus marquant, le RN est désormais en tête dans toutes les catégories de revenus, sauf la supérieure : 30% des suffrages pour 11% à la liste LREM au sein des foyers qui disposent de moins de 1200€ mensuels, 26% / 17% dans la tranche 1200€ – 2000€, 27% / 24% dans la tranche 2000€-3000€, et 26% / 18% en faveur de LREM dans les foyers plus aisés (revenu mensuel supérieur à 3000€). Le RN a aussi bien progressé chez les retraités, qui sont plus d’un sur cinq à avoir choisi la liste de Jordan Bardella (22%). 30% ont choisi LREM, mais là encore l’écart n’est plus si net. En termes de statut, le RN surpasse LREM sur l’ensemble des salariés (25% / 17%), du public (25% / 16%) comme du privé (25% / 19%). L’écart grimpe à quinze points chez les chômeurs (29% / 14%).
La concentration des suffrages sur les deux listes de tête a donc bien eu lieu. Vote utile ou évolution des comportements électoraux, elles ont bénéficié chacune du ralliement d’une partie des sympathisants de la droite traditionnelle, pour capter à elles deux près de la moitié des suffrages. 17% de l’électorat UDI / LR / DLF a en effet voté pour la liste RN, 16% a choisi la liste LREM.
Perdant des
électeurs sur ses deux flancs, la droite traditionnelle a obtenu un score
historiquement bas. Ses soutiens lui ont fait défaut, et lui ont
massivement préféré LREM. La liste LR ne recueille ainsi que 8,4% des
suffrages (contre 20,8% pour l’UMP en 2014),
9% des suffrages dans la catégorie 60-69 ans (23% pour LREM), 15% dans la
catégorie 70 ans et plus (33% pour LREM). Elle ne capte que 11% du vote des
retraités (30% pour LREM), est aussi largement derrière dans la tranche
supérieure de revenus (10%, pour 26% qui ont choisi LREM). Symptomatiquement, la
liste LR n’a réussi à mobiliser que le tiers de l’électorat de François Fillon
à la présidentielle ; 27% lui ont préféré la liste LREM et 18% celle du RN.Le succès de la liste EELV,
première force à gauche, provient essentiellement de son score (27%) chez les moins de
35 ans, où elle arrive en tête. Le vote EELV est très marqué par le
niveau de diplôme : 6% de suffrages chez les non-bacheliers, 14% chez ceux
qui ont arrêté leurs études au baccalauréat, 15% chez les bac +2, 20% chez les
bac +3 et plus.
A 6,7%, la liste FI est très loin des 19,6% obtenus par Jean-Luc Mélenchon
au premier tour de la Présidentielle. Seuls 36% de ceux qui ont voté aux
Européennes et qui avaient choisi la France Insoumise en 2017 ont réitéré leur
choix. Les autres se sont dispersés entre les listes EELV (19%), PCF (11%)
ou PS-Place publique (8%). La liste PS-Place publique aura tout de même des
sièges au Parlement, malgré son score encore bas (6,7%). La gauche a perdu
pied dans les catégories populaires. Ni le PC, ni la FI, ni Génération.s,
ni le PS-Place publique ne recueille plus de de 10% des suffrages chez les
ouvriers, les chômeurs, les non-bacheliers ou ceux qui ont arrêté leurs études
au baccalauréat, ou au sein des foyers qui disposent d’un revenu mensuel
compris entre 1200€ et 3000€.